mardi 25 août 2015

L' ECOLE NATIONALE DES ARTS DECORATIFS DE NICE



Un foyer d’art méconnu, l’École Nationale des Arts Décoratifs de Nice

Créée en 1881, par le peintre Alexis Mossa dans des bâtiments édifiés rue Deloye, l'école aménagera en 1904 dans de nouveaux bâtiments rue Tondutti de l’Escaréne, construits suivant les plans de l’Architecte Marcel DALMAS, également enseignant dans ce même établissement. Rapidement l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Nice deviendra l’une des sept grandes écoles régionales d’arts appliqués en France sous le contrôle de l’Education Nationale tout comme Limoges, Bourges, Aubusson, Angers, Dijon et Nancy. Curieusement l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Nice demeure, suivant les mots de Martine Cardone (in « Méditerranée magazine ») un « foyer d’art méconnu », et celle-ci en développe les causes dans son article : 

« Trop souvent et trop longtemps présentée comme un « désert culturel », la Côte d’azur a subi cette réputation colportée par les premiers voyageurs étrangers qui la visitèrent au cours du 18ème siècle, sensible surtout aux charmes du paysage et à son climat. Mais c’est précisément ce qui fut à l’origine de ce discrédit qui lui vaudra deux siècles plus tard d’être le paradis des peintres et de consacrer sa réputation dans le domaine artistique. De Berthe Morisot à Renoir, de Dufy à Chagall à Picasso ou à Matisse la Côte d’Azur inspira et inspire toujours  les grands noms de l’Art. A cette dimension artistique, s’ajoute à la même époque, un autre élément qui jouera un rôle décisif  dans l’évolution de la région : le nombre croissant d’étrangers y séjournant temporairement ou s’y installant confirmera sa vocation cosmopolite. 

Liée à cet accroissement d’une population formée pour l’essentiel de gens aisés, la construction va connaître  un véritable essor après les années sombres 1914-1918 et avec elle,  prospéreront toutes les industries  des arts de l’habitation. Ce sont sans doute  tous ces facteurs  qui ont contribué à donner à l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice son caractère particulier. En effet, la plupart des autres Ecoles des Arts Décoratifs  situées dans des régions ayant par tradition une production d’art industriel se voient imposé tout naturellement une certaine spécialisation : ainsi les ateliers de tapisseries d’Aubusson, de céramique à Limoges, etc.. Or la région n’ayant pas au début du siècle d’industrie spécifique, si l’on excepte  les manufactures de poteries de Biot et de Vallauris, sa spécialisation a de ce fait été déterminée par l’essor de l’urbanisation et par voie de conséquence, le développement de l’architecture et des arts décoratifs  liés à l’habitat : le mobilier, la décoration intérieure, la ferronnerie, la mosaïque… Cette importance toute particulière  des arts de l’habitat a donc légitimé la formation par l’Ecole de Nice de créateurs, de dessinateurs, de compositeurs avertis dans la pratique des techniques des métiers du bâtiment, capables dès leur sortie de l’Ecole, de produire des modèles aux industriels et aux artisans. » 

Sous la férule d’éminentes personnalités comme Alexis Mossa, son fondateur et son Directeur jusqu’en 1911, puis surtout avec peintre Paul Audra qui en assumera la direction jusqu’en 1934, l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice va se développer et jouer un rôle de tout premier plan dans la vie culturelle et économique de la Côte d’Azur, en pleine période « Art déco ». Comme le décrit Martine Cardone, l’enseignement de l’Ecole des Arts décoratifs était réparti en trois sections : 

« La section d’architecture, destinée à préparer un certain nombre d’élèves au concours d’admission à l’École des Beaux-Arts de Paris, formait les futurs architectes. Les autres étudiants pouvait obtenir un certificat de dessinateur ou devenir collaborateur d’architecte. La section sculpture et surtout la section d’art décoratif comportait des cours de composition décorative destinés à former des décorateurs-créateurs, elle était considérée comme la section la plus importante de l’école. Cette chaire de composition décorative sera occupée durant trente-sept années, de 1920 à 1957, par le même titulaire, le professeur Clément Goyeneche. A une époque où la revalorisation des métiers d’art n’était pas encore le fer de lance de certains dirigeants, cet homme également pédagogue et artiste eut à cœur de former ses élèves tout à la fois comme créateurs et comme artisans car dans son esprit ils devaient d’une part acquérir les techniques d’exécution mais aussi développer leurs propres qualités artistiques afin de pouvoir s’exprimer en « artisans-artistes », ainsi qu’il aimait à dire. Il tenait pour essentiel qu’un décorateur connaisse l’esprit et les techniques de tous les corps de métiers auquel il avait affaire puisque ses créations passaient nécessairement par les mains de « techniciens-exécutants » et que de plus, il devait également tenir compte des exigences pratiques de destination, de situation et d’emploi de matériaux. Mais à cela devaient impérativement s’ajouter d’authentiques dons artistiques, faute desquels aucune création n’était possible. 

Ainsi conçue la décoration n’était plus pour ce maître un motif ajouté à l’œuvre construite mais bien une partie intégrante de l’œuvre architecturale. Cette conception préfigure le travail de collaboration que tentent de réaliser actuellement certains architectes, sculpteurs et décorateurs en projetant des édifices urbains comme de véritables ensembles artistiques. Artiste-professeur, Clément Goyeneche était également artiste-artisan et architecte comme en témoignent les nombreuses réalisations qu’il a exécutées pour la commande publique : Mairie de Nice, Ecole Hôtelière, Bibliothèque municipale, Pavillons de la Côte d’Azur aux Expositions Internationales de Paris en 1925 et 1937, de Rotterdam en 1928, etc.. ainsi que pour la commande privée : immeubles, architectures intérieures, mobiliers…Et par la suite, après-guerre et jusqu’en 1975 une importante œuvre architecturale : villas, chalets, églises, monastères. » 

Professeur en charge de la section la plus importante de l’école, Clément Goyeneche, niçois,  d’origine basque, a été lui-même élève de l’ENAD de Nice 1910-11. Il obtiendra en 1911 le Premier Prix d’un concours national entre toutes les écoles d’art de France : le « Concours Général de Composition Décorative » organisé par la Société d’Encouragement à l’Art et à l’Industrie et le Ministère des Beaux-Arts. Ce premier succès sera le point de départ d’une brillante carrière car la Baronne Ephrussi de Rothschild lui commandera séance tenante le projet de la grande mosaïque du patio de la Villa Ile-de-France à Saint-Jean-Cap-Ferrat et il obtiendra quelques mois plus tard une bourse de la Ville de Nice pour continuer ses études à Paris : à l’Ecole des Beaux-Arts (Atelier Cormon) et à l’École Nationale Supérieure des Arts Décoratifs. Il fréquentera à Paris plusieurs jeunes niçois qui seront ses camarades d’études et qui demeureront des amis proches et par la suite des associés dans plusieurs projets sur la Côte d’Azur, notamment les architectes Richard Laugier et Paul Labbé ou les artistes-décorateurs René Cera et Mario Simon : durant ces années d’études ils resteront tous en relation étroite avec Paul Audra, le Directeur de l’ENAD, avec qui ils avaient une véritable relation de « piété filiale » suivant les mots de Clément Goyeneche dans une correspondance.
 
Clément Goyeneche travaillera très rapidement avec de grands décorateurs parisiens comme Maurice Dufréne, Francis Jourdain, le couturier Paul Poiret (Atelier Martine), l’architecte Mallet-Stevens et l’Atelier Primavera des Grands Magasins du Printemps, et il collectionnera les récompenses comme le Premier Prix du Concours d’Art Décoratif de la revue « Les Arts Français ». Et à 23 ans seulement il sera reçu Premier au concours national pour obtenir le « Certificat d’aptitude à l’enseignement de la Composition Décorative », ce qui en fera le plus jeune professeur de France et lui vaudra sa nomination en 1920 au poste d’enseignant titulaire à l’Ecole Nationale des Arts Décoratifs de Nice. 

L’École de Nice va devenir très vite une des meilleures écoles d’art de France et les élèves de Clément Goyeneche vont obtenir à leur tour de très nombreuses récompenses dont la presse locale (le « Petit Niçois » ou l’  « Éclaireur de Nice ») ou nationale se feront régulièrement l’écho : en effet à pas moins de quatre reprise l’ Ecole des Arts Décoratifs de Nice figurera au palmarès des concours nationaux avec des premiers prix. En 1935, le Maire de Nice, Jean Médecin s’en glorifiera avec juste raison dans le texte « Six années de réalisations municipales » : 
« Notre École d’Art Décoratif est nationale, mais la Ville contribue largement à son fonctionnement. Elle est devenue très prospère et l’ensemble des récompenses qu’elle obtient aux concours de fin d’année la classe au tout premier rang des écoles françaises. » 

Ce sera encore le cas en 1939, à la veille de la seconde guerre mondiale, avec le premier prix et le quatrième, sur huit prix seulement en compétition pour les concours nationaux qui concernaient environ 50 écoles d’art en France . Au cours de l’inauguration de l’école rénové et agrandie en 1938-39 par M.Aragon, Architecte en chef de la Ville de Nice, le Directeur de l’école, M Maillard qui a succédé à Paul Audra en 1934, « se félicite des brillants résultats obtenus par les élèves, non seulement dans les compétitions mais au point de vue de leur formation artistique » et le Directeur Général des Beaux-Arts, M.Georges Huisman, représentant le Ministre à cette occasion, se dit « heureux d’applaudir aux brillants résultats obtenus par les élèves et il leur demande de rechercher un idéal derrière leurs succès scolaires. Mais dit-il en substance, cette école marche si bien, obtient de si brillants résultats qu’elle n’a besoin d’aucun encouragement officiel !.. M Huisman termine en montrant aux maîtres et aux élèves leur rôle essentiel qui est de contribuer dans notre région à la formation d’un gout du public dont il faut bien dire qu’il est toujours en retard de quelques lustres sur les créations du moment. M Huisman se tourne alors vers M Goyeneche, Professeur de Composition Décorative. Il rappelle dans quel estime le tient la haute administration des Beaux-Arts qui a voulu l’arracher à Nice, pour lui donner ailleurs des fonctions beaucoup plus importantes. Il souligne la brillante carrière de ce grand artiste et le félicite de sa popularité parmi les élèves. Mlle Gaillier et M Spiewak remettent la croix de la Légion d’Honneur, offerte par les élèves qu’ils représentent, et M Huisman l’accroche sur la poitrine de M Goyeneche en prononçant la formule sacramentelle.» (in «l’Eclaireur de Nice»)

Le but des études du Cours de Composition Décorative était clairement énoncé dans le programme diffusé par Clément Goyeneche pour l’inscription à l’école : « Formation d’Artistes Décorateurs, créateurs de modèles, dessinateurs-décorateurs pour les Industries et Métiers d’Art ;préparation à la profession de Décorateurs-Ensemblier ».On utiliserait aujourd’hui plutôt les termes d’  « Architecte intérieur » et de « Designer » pour désigner la qualification professionnelle dont il est question, d’autant que les élèves recevaient également un enseignement complémentaire sur l’architecture et la sculpture par d’autres professeurs. « Les études comporteront une initiation théorique aux principales techniques des métiers d’Art. Elles poursuivront, sous la forme de projets, des recherches englobant la plupart des branches de l’Art Appliqué : papiers peints, tissus imprimés et tissés, tapisseries, tapis de sol, mosaïque, céramique, verrerie, vitrail, verre gravé, ferronnerie, mobilier, menuiserie d’Art, ébénisterie, marqueterie, luminaire, publicité, affiche, décors de théâtre… »

Au cours de la période 1920 à 1939 l’action pédagogique de Clément Goyeneche à l’Ecole des Arts Décoratifs de Nice et son exercice professionnel sont intimement liés aux deux grands événements qui vont populariser ce qu’on nommera par la suite le style « Art Déco » mais que l’on appelait à ce moment-là l’« Art moderne » ou « Art actuel » : les expositions internationales de Paris de 1925 et de 1937 auxquelles l’école va participer activement dans le cadre des Pavillons de la Côte d’Azur. 

Clément GOYENECHE, Président de la Commission de Consultation Esthétique de Nice pour l’Exposition Internationale de 1925, en expose les grandes orientations dans un rapport introductif : 

« Le modernisme est une conception qui repose sur le rapport équilibré entre les lois esthétiques permanentes et l’expression particulière correspondant aux besoins communs et à la sensibilité ambiante d’une époque. Ces besoins et cette sensibilité sont en état constant d’évolution. Une forme d’Art est belle pour toujours et entre dans le vaste domaine du classicisme dés qu’ elle nait directement de la vie exercée à un certain moment et qu’elle satisfait à la fois à la mise en œuvre la plus logique des matières et aux principes directeurs de la pensée humaine. Elle réalise l’unité par l’équilibre des contrastes, l’expression vivante par l’affirmation d’une dominante.(..) Constante matérielle : Technique propre à chaque matière, la plus directe et la plus simple possible. Appropriation à la fonction : la fonction détermine l’aspect.(..) Constante esthétique : Le décor n’est pas toujours nécessaire : il n’est en situation que pour des raisons de souplesse et de stricte variété. Le plus souvent, la structure architecturale se suffit à elle-même. Quand il y a décor : correspondance du décor avec la forme structurale, la destination, la fonction, la situation. Accuser et ne jamais dissimuler la structure architecturale. Mettre en évidence la forme des solides géométriques élémentaires (sphère, cylindre..) entrant dans la structure architecturale. Accuser la fonction par la mise en évidence des éléments de nécessité pratique. (..) 

L’art actuel s’appuie sur les principes qui viennent d’être énoncés. Il tend au classicisme pur, qui est une expression essentielle de la vie, qui admet toute la fantaisie poétique, au demeurant fortement attaché au contrôle de la raison. Il répudie toute formule académique. (..) L’art actuel recherche la franchise et la fraicheur dans la forme, dans l’effet du contraste lumineux, dans l’harmonie colorée. Il s’attache à ne retenir que les éléments essentiels de l’expression, à généraliser ces éléments jusqu’à l’abstraction. (..) Il considère comme nuisible tout ce qui est inutile. Il rejette tout pastiche des formes d’art révolues, comme ne correspondant plus à la vie actuelle. Il respecte et utilise toute technique traditionnelle et logique. Il satisfait à des besoins nouveaux à l’aide de matériaux nouveaux et de leurs techniques correspondantes, sans entrer dans le moule de formes connues. Désireux d’éviter l’art anonyme, il tend à marquer les caractères de vie propre à chaque région et aussi les sensibilités individuelles (situation géographique, climat, habitudes, tempérament). En résumé, l’art actuel est fondé sur l’ « Utile supérieur » et s’oppose à l’ « Art pour l’Art ».

©Bruno GOYENECHE
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